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Rue de Prague – Paris 1908

Au moment où, en France, les Congrégations enseignantes sont menacées d’expulsion par les lois de 1904, les Sœurs de la Congrégation Notre Dame , implantées à St Pierre Eglise, font l’acquisition d’une villa à Dinant sur Meuse, en Belgique, pour y accueillir la Communauté, les Sœurs les plus âgées ayant l’autorisation de rester sur place. Malheureusement, la maison, trop petite ne peut recevoir qu’une quinzaine de sœurs. De plus, l’évêque de Namur s’oppose à la reprise de l’enseignement de peur de faire tort à une communauté déjà établie dans la ville. Les religieuses, pour vivre, doivent se consacrer à des travaux manuels : lingerie, broderie… Il est donc décidé que les plus jeunes, sécularisées, tout en demeurant reliées à la communauté de Dinant, restent en France, afin de pouvoir répondre à la mission enseignante de la Congrégation. Pour certaines, c’est Saint Pierre ou les environs. En raison de problèmes de santé et d’études à poursuivre, deux autres sont envoyées à Paris, ville où il est plus facile de vivre sans être reconnues.

C’est le cas de Mlle Le Crosnier (Mère Marie Joseph). En 1905, elle accepte d’abord un professorat au cours Bossuet, puis rejoint un groupe de sœurs de la Congrégation qui, expulsées de l ‘Abbaye aux Bois, ouvrent le Cours St Germain, sur la rive gauche de la Seine. C’est là que naît son désir de faire naître une institution semblable, en plein cœur de Paris ; c’est là aussi qu’en octobre 1907, Mlle Equilbecq (Mère Marie Berchmans) la rejoint et partage ses désirs et ses projets.

Souhaitant se perfectionner dans les méthodes pédagogiques modernes, toutes les deux, tout en enseignant, suivent à l’Institut Catholique, les cours de Monsieur Guibert qui remarque vite l’assiduité de ces deux auditrices. Pendant une conversation, Mlle Le Crosnier expose ses idées et ses projets à Mr Guibert qui l’encourage et lui promet de penser à elle à la première occasion.

UN PROJET

Or à la même époque, dans le quartier de la Gare de Lyon, en pleine rénovation, la nouvelle église St Antoine des 15/20 est édifiée par les soins de Monseigneur Rivière, grâce à la générosité de plusieurs paroissiens. Le Chanoine Lenfant qui lui succède comme curé estime nécessaire de grouper autour de l’Eglise les œuvres nécessaires au développement de la paroisse. Il va consacrer une partie de ses efforts aux catéchismes, patronages et aux écoles paroissiales. Il projette aussi de fonder, pour les filles, un cours secondaire, semblable à l’Ecole Massillon pour les garçons. Pour cela, il cherche quelqu’un qui puisse en assurer la direction.

En mars 1908, par l’intermédiaire de Mr Guibert, Mlle Le Crosnier et Mlle Equilbecq lui sont présentées. Cette première entrevue semble n’avoir aucun résultat : une autre personne avait déjà été pressentie… mais après quelques heures de déception, les deux sœurs sont rappelées auprès de M. Lenfant, et l’ouverture du Cours est décidée pour octobre, dans une maison à bâtir sur un terrain de démolitions situé entre la rue de Prague et la rue Traversière.

Malgré le manque total de ressources des deux maîtresses, un local est aménagé au 13 rue de Prague : une pièce au rez-de-chaussée pour accueillir les 4 premières élèves (dont la nièce de Mr Lenfant) : ce fut une période d’extrême pauvreté et de confiance intense en la Providence.

Fin 1908, la Mère Supérieure de Dinant-St Pierre Eglise reçoit la demande d’admission d’une ancienne élève, Mlle Fortin. Jugeant qu’elle est trop connue à St Pierre pour ne pas y être repérée, Mère Marie de la Croix l’envoie à Paris, rue de Prague. Puis, c’est une soeur de St Pierre Eglise : Maria (Soeur Dominique). La rentrée de 1909 amène 40 élèves : deux étages sont aménagés dans le bâtiment de la rue Traversière. Viennent ensuite, toujours de St Pierre deux nouvelles ouvrières : Mlle David (Mère Thérèse) et Mlle Chevalier (Mère Marguerite Marie). L’année scolaire commence donc sous les meilleurs auspices… Hélas ! le début de 1910 réservait une douloureuse épreuve : le 19 janvier, en quelques heures, les sous-sols de l’immeuble sont envahis par l’eau, le calorifère submergé, toutes les provisions perdues, la rue Traversière est devenue voie navigable : on y passe directement de la cuisine dans une barque. Il faut évacuer toute la maison par cette issue. Ce fléau dévastateur aurait dû ruiner le jeune établissement…

Après le retrait des eaux, grâce à l’aide d’amis dévoués, la maison est asséchée, nettoyée, et les élèves peuvent revenir.

CONDITIONS DE VIE RELIGIEUSE

Si l’avenir de l’établissement scolaire est plein d’espoir, reste un problème difficile à résoudre : l’organisation de la vie religieuse du petit groupe comprenant Mlle le Crosnier, Mlle Equilbecq, Maria, pendant quelque temps Mlle Besnard (Sœur Marie Hélène) et les 3 postulantes : Mlles Chevalier, David, Fortin. Les Congrégations religieuses n’ayant pas le droit d’enseigner, les élèves ignorent que leurs maîtresses sont des religieuses.

Il faut décider où se fera le noviciat des 3 postulantes : à Dinant, où se trouve officiellement la communauté ? ou à Paris, où elles pourront continuer à participer au développement de l’œuvre naissante ?

Mère Marie de la Croix souhaite que ce groupe soit « non une branche détachée du tronc, mais un poste où les novices seraient légitimement autorisées à passer leur année de Noviciat, à prendre l’habit et à faire Profession ». Elle multiplie les démarches à Rome, à l’Archevêché de Paris, auprès de jeunes et de leur groupe.

Le 7 juillet 1912, Mr l’abbé Guibert encourage instamment les trois jeunes postulantes à aller de l’avant et à prendre une détermination pour l’avenir de leur vie religieuse.

En août 1912, Mlle le Crosnier et Mlle Equilbecq vont à Dinant pour en conférer avec la Révérende Mère Marie de la Croix. Celle-ci est écartelée entre son conseil qui, resté en Belgique, ne peut saisir tous les côtés de la question, et les deux sœurs qui voient se profiler toute une œuvre d’avenir en parfait accord avec leur vocation ; elle ne sait que dire : « je ne défends rien, je ne permets rien ». Le chapitre de Dinant refuse l’ouverture d’un noviciat à Paris. Mais les autorités religieuses de Paris (l’Archevêque, le Cardinal Amette, et le Recteur de l’Institut Catholique, Mr Guibert) ont obtenu de Rome la reconnaissance de la nouvelle fondation, avec la dispense provisoire du costume et de la clôture. Pie X aurait dit au Cardinal Amette : « qu’elles s’habillent en japonaises, si elles veulent, mais qu’elles continuent l’œuvre d’enseignement en France, c’est la chose capitale ».

Le 19 septembre 1912, le chanoine Clément est établi par le Cardinal Amette supérieur de la communauté. Par son autorité, le nombre des « vocales » étant insuffisant, il fait élection

de Sœur M. Joseph comme supérieure,

de Sœur M. Berchmans comme assistante de Sœur M. Hélène comme conseillère.

Les 3 premières prises d’habit se font donc à Paris, le 21 septembre 1912 :

Mlle David, Sœur Thérèse de Jésus

Mlle Chevalier, Sœur Marguerite Marie

Mlle Fortin, Sœur M. du Rosaire.

et les premières professions (qui sont alors perpétuelles) le 27 septembre 1913.

La Congrégation Notre Dame compte désormais une maison de plus. Pourtant dans l’esprit de la Communauté de Dinant, c’est une rupture douloureuse, la perte de plusieurs jeunes sur lesquelles reposait l’espoir d’un avenir pour St Pierre Eglise. Aussi la souffrance est-elle vivement ressentie par la communauté et partagée par les trois jeunes professes qui sont à l’origine de la nouvelle fondation.

L’année 1914 avait commencé dans l’action de grâce, mais une épreuve nouvelle se préparait pour l’Institut comme pour tous les Français : la guerre.

Une autre inquiétude surgit : une des jeunes professes, Mlle Tissier (Sœur M. de l’Immaculée Conception) tombe gravement malade : elle devait mourir le 23 décembre 1915.

En septembre 1915, Mr. le chanoine Lenfant est nommé évêque de Digne, ce qui est une épreuve pour la communauté et pour l’Institut qui heureusement trouvera un nouvel ami dans la personne de son successeur, Mr l’abbé Fontaine. Il cherche lui-même une maison de campagne, dans les environs de Paris, pouvant recevoir de temps en temps les sœurs les plus fatiguées pour remplacer la maison de Montfermeil qui les avait accueillies pendant deux ans, l’été. Il en trouve une à Juvisy qui peut accueillir la Communauté pendant les vacances et même les élèves pendant les bombardements de la capitale.

Le 23 septembre 1917, un grand réconfort est donné à la communauté: l’Institut est canoniquement érigé en Monastère de la Congrégation Notre Dame, sous le vocable de « Saint Pierre Fourier ».

Dans le monde de l’enseignement, l’Institut n’est plus une « tentative audacieuse », mais une réalité. Mlle Le Crosnier et Mlle Equilbecq prennent contact avec des établissements similaires, et en septembre 1919, elles se rendent à Bruxelles à une sorte de Congrès où se rencontrent des déléguées des maisons d’Education, toutes animées par des religieuses, filles spirituelles de Saint Pierre Fourier. Ce contact est pour les fondatrices un précieux encouragement. Désormais elles se rendront fidèlement à tous les congrès de ce genre à Strasbourg, Vught, Luxembourg : on y étudie la révision des Constitutions qui doivent être adaptées au nouveau code de Droit Canonique.

DEDOUBLEMENT DE LA FONDATION

En 1927, Juvisy est devenu d’autant plus insuffisant que l’établissement d’un pensionnat à la campagne s’impose. Une propriété est proposée et achetée à Brunoy : la maison est petite, mais elle est entourée d’un superbe parc. Immédiatement, les travaux d’agrandissement commencent et le nouveau pensionnat reçoit les première élèves en octobre 1928. En 1930, on acquiert également la propriété voisine : « la Florida ». Ce fut la dernière activité de Mlle Le Crosnier.

La fondation de Brunoy impose une pénible séparation à la communauté, une partie des sœurs y étant affectée. Mlle Le Crosnier reste supérieure des 2 maisons, Paris et Brunoy, et se dépense sans compter.

En 1931, son état de santé décline rapidement et elle doit s’arrêter. Après de longues souffrances, elle s’endort dans le Seigneur le 26 septembre 1931, entourée de sa communauté Paris-Brunoy. Sa forte personnalité marque de son empreinte la Communauté et l’Institut, jeunes et adultes. Elle créait autour d’elle une atmosphère de joie qui épanouissait son entourage et l’aidait à vivre dans la charité. Une de ses dernières joies fut de participer activement à la formation de « l’Union Romaine » de plusieurs monastères de la Congrégation, avec, à sa tête, une Supérieure Générale, la Révérende Mère Marie du Rosaire. Mlle Equilbecq (Mère Marie Berchmans) est désignée pour succéder à Mlle Le Crosnier qu’elle avait secondée pendant 25 ans.

De nouveaux champs d’apostolat s’ouvrent pour la maison : à la demande du Pape Pie XI, la Révérende Mère Marie du Rosaire, Supérieure de l’Union Romaine, envisage de nouvelles fondations hors de France.

En 1935, c’est le Ier départ missionnaire pour l’Indochine auquel participe Sœur. Marie Claire Voisin, puis en 1936, Sœur Marie Claude Liran et en 1937, Sœur Marie Johanna Koegler. Cet élan missionnaire ne s’est jamais démenti : les fondations de Dalat, Hanoï, Saïgon ont tenu en haleine des générations d’élèves.

1939 : LA GUERRE ET L’APRES-GUERRE

La courbe du nombre des élèves toujours croissante va être interrompue par la Seconde guerre mondiale. En octobre 1939, une vingtaine d’élèves se présentent, mais les écoles environnantes n’ayant pu ouvrir leurs portes, l’Institut accueille les enfants du quartier, filles et garçons. Le travail s’organise malgré les grandes difficultés de l’heure. Après l’exode de la communauté à Niort en juin 1940 et son retour à Paris, dès le mois d’Août, les élèves peuvent être accueillies pour la rentrée d’octobre.

En 1942 Mère Marie Bénédicte, venue de Nancy, devient supérieure, mais elle est bientôt nommée à Rome en 1946, année du décès de Mère Marie Berchmans. Alors Mère Marie Germaine Forestier sera désignée pour la remplacer jusqu’en 1956.

La vie apostolique des sœurs s’insère de plus en plus dans le quartier, à leur grande joie. En 1945, le curé de la paroisse, Mr. Albinhac, demande à la supérieure de prendre en charge le Centre Féminin paroissial : le Centre Jeanne d’Arc, la Communauté accepte volontiers cette œuvre que soutiennent les curés successifs de la paroisse et pour laquelle la Congrégation envoie Sœur Hélène de Jésus. Les Sœurs assurent patronage, catéchismes, cercles pour les aînées, études du soir ; et jusqu’en 1968, avec l’aide de mamans, de grandes élèves et de jeunes religieuses de la Congrégation en formation, des colonies de vacances. Pendant plusieurs années ces colonies seront accueillies par la Communauté de St Pierre Eglise, dans leur pensionnat : c’est un peu le « retour aux sources ».

Entre 1957 et 1962, pendant le supériorat de Sœur Marie Chrysostome (St Odile Mousset), des épreuves de santé assez sérieuses frappent plusieurs sœurs, à tel point que le Conseil Général envisage, pendant un certain temps, la passation de la direction de l’Institut à une autre Congrégation et le transfert de la Communauté en un autre lieu, ce projet n’aboutit pas mais n’est pas complètement abandonné.

En 1962, Sœur Marie Odile Nicolle Malpas devient Supérieure de la Communauté et reçoit, de la Supérieure Générale, à la demande de la Direction Diocésaine du monde scolaire de Paris, la charge de réorganiser le Collège Notre Dame de Lourdes, dans le quartier de Ménilmontant. Cette école est soutenue depuis des années par la Communauté de la rue de Ponthieu. Des sœurs en assureront alors la direction tout en continuant à faire partie de la Communauté de la rue de Prague où elles habiteront.

En 1963, l’existence de l’Institut est de nouveau sérieusement remise en cause : sa fermeture est à peu près décidée et par la Direction diocésaine et par le Conseil Général de la Congrégation. L’intervention vigoureuse et appuyée sur des faits de Sœur Marie Odile auprès de la Direction diocésaine et celle non moins vigoureuse du Curé de la Paroisse, le Chanoine Ronco, auprès de la Supérieure Générale obtiendront, non seulement son maintien, mais aussi l’agrandissement de ses locaux et, du fait même, l’augmentation des effectifs.

La signature des contrats avec l’Education Nationale, à partir de 1960 impose des règles d’effectifs et de locaux. Or l’Ecole de garçons Denis Affre (rue Emilio Castelar) ne répond pas aux conditions d’effectifs et l’Ecole Saint Raphaël (rue Hector Malot) aux normes exigées pour les locaux. Devant la situation de ces deux écoles, en accord avec la Direction Diocésaine et le Curé de Saint Antoine, la fusion de « Saint Pierre Fourier » et de « St Raphaël » est envisagée et accomplie en octobre 1963 et les locaux de « Denis Affre », imbriqués dans ceux de l’Institut sont mis à la disposition de ce nouvel ensemble scolaire dont les effectifs vont augmenter régulièrement, pendant le supériorat de Sœur Jacqueline Marie Goffi, de 1966 à 1973. Les garçons, élèves de l’école Denis Affre sont orientés vers Massillon ou les Francs Bourgeois.

EVOLUTION : « L’ECOLE » DEVIENT INDEPENDANTE DE LA COMMUNAUTE

En 1973, Sœur Paule Bonnefont, Directrice de l’Institut depuis 1953, devient supérieure. La Communauté accueille deux sœurs Vietnamiennes venues en France pour préparer des doctorats de 3éme cycle : Sœur Marie-Sophie Nguyen Thi Phu et Sœur Marie Lavang Trinh Thi Toan Hanh.

Les forces diminuent, la configuration des locaux ne permet plus de garder les sœurs âgées et fatiguées. A partir de 1974, elles sont alors accueillies à Brunoy, ce qui avait été prévu au moment de la fondation.

En septembre 1980, deux sœurs sont détachées de la communauté pour former le groupe d’accueil du noviciat (Odile Zabus et Marie Emmanuel Uhring). Elles vivent indépendamment de la Communauté, dans l’appartement du 2nd étage du 50 rue Traversière, avant de s’installer, en septembre 1982, à l’impasse Morlet. Les sœurs de la Communauté laissent à l’Institut Saint Pierre Fourier les locaux qu’elles occupaient pour leur vie communautaire et vont résider dans l’immeuble du 50 rue Traversière, contigu à l’établissement scolaire.

1985 marque une étape importante dans la vie de l’Institut : Sœur Paule Bonnefont en passe la direction à Mlle Boulay qui devient Chef d’Etablissement de tout l’ensemble scolaire, Sœur Odile Zabus restant Directrice de l’Ecole (classes maternelles et primaires). Sœur Marie Solange Montel en assure la tutelle au nom de la Congrégation.

Mlle Boulay fait partie, avec les autres directeurs et directrices des Ecoles de la Congrégation en France, de l’Association Educative Alix le Clerc (AEAL) qui a pour but de maintenir la continuité de l’Esprit des Fondateurs, Pierre Fourier et Alix le Clerc et de leurs orientations pédagogiques.

Ainsi, l’Institut Saint Pierre Fourier, fondé au début du siècle par les Sœurs de Notre Dame, continue, en cette fin du XXe siècle, sous une direction laïque, à vivre de l’esprit des Fondateurs en cherchant à « faire grandir » chacun des jeunes qui s’y trouve, l’aidant « à vivre et à bien vivre ».

Faire mémoire des origines…

Une date, une époque

1597. Un jeune chanoine régulier, Pierre FOURIER, arrive à Mattaincourt. Né à Mirecourt en 1565, il a fait ses études à la célèbre Université de Pont-à-Mousson, récemment fondée par les Jésuites. Il allie dans sa forte personnalité la culture de l’humaniste et la charité de l’apôtre.

Son époque : une époque troublée, le tournant d’un siècle. L’Europe occidentale a été traversée par l’humanisme de la Renaissance, secouée par la Réforme protestante. Le Concile de Trente s’est clos en 1563, appelant l’Église à se réformer intérieurement et à renouveler son élan missionnaire.

Les problèmes de son temps – relâchement des mœurs, injustices sociales, ignorance religieuse – Pierre Fourier les retrouve dans ce bourg des Vosges, Mattaincourt. Il se donne pleinement à l’évangélisation de sa paroisse. Pour lui, l’annonce de la Parole de Dieu ne peut se dissocier du service des hommes et du souci des pauvres. Être curé, dit-il, c’est « vivre avec » ses paroissiens. « Je me sens obligé de leur obéir, leur étant, comme curé, redevable de mes voyages, de mes veilles, de ma présence, voire de ma vie propre s’il était besoin de l’exposer pour eux ».

Il mène de front renouveau pastoral et amélioration de la condition sociale. Certaines de ses initiatives restent singulièrement actuelles. Un point le préoccupe : l’instruction et particulièrement celle des filles, alors très négligée. En cette même année 1597, Pierre Fourier rencontre Alix Le Clerc. Née en 1576 à Remiremont, elle a entendu l’appel intérieur à convertir sa vie, puis à fonder « une maison nouvelle… pour y pratiquer tout le bien que l’on pourrait ». Trois compagnes la rejoignent. Pierre Fourier leur propose de travailler à l’instruction des filles. En 1598 s’ouvre à Poussay, proche de Mattaincourt, la première école de Lorraine, gratuite, pour les filles.

Un projet hardi

Il est exprimé dans le texte fondateur de la Congrégation de 1598 :

« Notre but est de dresser des écoles publiques et y enseigner gratuitement les filles à lire, à écrire, à besogner de l’aiguille, et l’instruction chrétienne ».

Des écoles publiques, c’est-à-dire des écoles ouvertes aux élèves externes, « tant pauvres que riches ». On ne se contentera pas d’y enseigner le catéchisme et par surcroît la lecture et l’écriture – perspective assez courante à l’époque. Ces écoles assureront de pair éducation chrétienne et formation humaine, enseignement, apprentissage d’un métier. Pierre Fourier en résume ainsi le projet :

« … Instruire diligemment les petites filles à lire, écrire, travailler et connaître Dieu ».

Ce seront des lieux de croissance de la personne. Les filles deviendront par l’instruction plus aptes à agir dans la famille et dans la société. On les aidera ainsi « à vivre et à bien vivre ».

Ce dessein « être à la fois religieuses et maîtresses d’école » apparaissait alors inconciliable avec la stricte clôture, renforcée par les décrets du Concile de Trente. Il faudra attendre 1628 pour obtenir l’approbation des autorités romaines.

 

Un esprit, une pédagogie

Ce qui unifie toute la conception de cette éducation, c’est le regard attentif porté sur l’enfant : respect, affection, compréhension, réalisme, largeur d’esprit. Chacun est considéré comme unique, reconnu dans ses possibilités comme dans ses limites.

« On exercera les écolières discrètement, selon les occasions et leur capacité. »
« Les maîtresses ne se dépiteront contre celles qui auront de la peine d’apprendre. »
« On aura spécialement égard à ce que les filles qui sont ou pauvres ou de médiocre condition soient toujours instruites aux heures les plus propres pour elles… »

Pierre Fourier écrit en 1624 (il s’agit des enfants de familles protestantes) : « s’il s’en trouve une parmi les autres, traitez-la doucement et charitablement, ne permettez pas que les autres la molestent ou lui fassent quelque reproche ou fâcherie. Ne lui parlez directement contre sa religion ». Et il ajoute qu’on lui donnera en récompense non pas des images pieuses qui pourraient la choquer, mais « quelques papier doré, quelque belle plume à écrire ».

« Que les écolières vivent joyeuses et bien contentes… »
« On n’y supportera ni hautaineté, ni affectation ou singularité… »

« Les écolières prendront garde surtout qu’elles n’offensent ou méprisent aucune de leurs compagnes, pour petite ou pauvre qu’elle soit … et vivront par ensemble en bonne paix et en bonne amitié. »

En ces premières années du 17ème siècle – rappelons-nous les pages de Montaigne sur les écoles de l’époque – Pierre Fourier et Alix Le Clerc font vraiment, en ce domaine de l’éducation, figure de pionniers. Ils organisent la vie scolaire, établissent un programme adapté aux besoins du temps, créent un climat éducatif de joie, de simplicité, de charité où l’Évangile pourra être entendu.

A la source, une manière de vivre l’Evangile

Au cœur même de leur expérience de Dieu, Pierre Fourier et Alix Le Clerc ont vécu profondément la réalité du mystère de l’Incarnation. Ils ont insisté avec un accent particulier sur l’humanité du Fils de Dieu, fils de Marie. Dans cette contemplation des « actes et dits » de Jésus-Christ « lorsqu’il était visiblement conversant en ce monde » (dans le langage du temps, « converser » doit s’entendre comme « vivre avec »), ils ont appris peu à peu le regard de Dieu sur l’homme.

Les religieuses de Notre Dame s’appellent aussi, depuis leur rattachement à l’Ordre canonial en 1628, chanoinesses de Saint-Augustin. La Règle de vie augustinienne les enracine dans une tradition spirituelle : liberté dans la charité, accent mis sur le désir, l’humilité, la joie, dispositions essentielles qui ouvrent, élargissent le cœur en créant « un espace pour Dieu » selon le mot même de Saint-Augustin et qui s’expriment dans une manière d’aborder autrui. Écoute, attention aux personnes dans le respect des différences : c’est l’attitude fondamentale de l’éducateur.

On apprendra aux écolières « à vivre et à bien vivre ». Les religieuses de la Congrégation Notre Dame se reconnaissent toujours dans cette phrase de Pierre Fourier, en se voulant aujourd’hui « attentives à la vie, à ce qui la fait naître, à ce qui la fait croître, à ce qui la libère, prêtes à dénoncer tout ce qui la détruit ».
Ainsi s’explique la diversité de leurs enracinements, en Amérique Latine, Afrique, Asie, Europe…

L’esprit de Pierre Fourier – aider l’homme à devenir pleinement lui-même – reste singulièrement actuel.

À travers les immenses besoins de notre monde, chacun, croyant ou non, peut en entendre l’appel.

Sœur Paule Sagot